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Peuton reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire ?
Analyse du sujet :
Estil possible, légitime d’accuser, blâmer une œuvre d’art de n’avoir
aucun sens ?
avoir un sens communiquer quelque chose
Transmettre un message.
Or le but d’une œuvre d’art estce de communiquer quelque chose ?
Avoir un sens c’est faire signe vers quelque chose mais vers quoi
l’œuvre d’art peutelle faire signe?
Problème : une œuvre ne peut être considérée comme une œuvre d’art que
si elle suscite l’admiration et le reconnaissance or cela ne semble
possible que si elle comporte un minimum de sens. Mais doiton dire
pour autant qu’une œuvre d’art doit vouloir dire quelque chose au même
titre qu’un énoncé usuel ou faimilier (« avezvous l’heure ? »). N’y
atil pas quelque chose dans l’œuvre, en vertu de la nature
particulière du plaisir qu’elle nous fait éprouver, qui est
irréductible à toute signification objective et déterminée ?
1) L’œuvre d’art doit présenter ce minimum de logique et de rigueur
qui peut lui donner un sens.
Il est certes commun d’affirmer que l’artiste qui a du génie et que
celuici consiste dans l’aptitude à produire des œuvres absolument
uniques et originales. Mais encore fautil distinguer l’originalité
géniale, très rare, et l’originalité absurde. Car l'originalité ne
suffit à caractériser le génie de l’artiste. En effet l'absurde aussi
peutêtre original". Il y a en effet ceux qui produisent des oeuvres
originales, qui sont peutêtre riches de trouvailles, mais confuses et
désordonnées, sans cohérence aucune. Une telle originalité n'a rien de
génial. Le génie produit des oeuvres sensées, des oeuvres qui ont un
sens pour tout le monde et non pour lui seul. Une toile composée d’une
manière tout à fait aléatoire, de façon arbitraire s’impose rarement
comme oeuvre d’art. L’œuvre d’art présente un minimum de logique et de
rigueur dans les procédés. Le génie s'impose, il emporte tous les
suffrages (l'original se distingue mais ne s'impose pas). Sa beauté
est reconnue et appréciée. Elle a une postérité. Elle est un modèle
pour les futurs artistes.
Toute oeuvre d'art a du sens même si elle n'a pas un seul sens. Elle
est susceptible de plaire universellement. Ce qui caractérise le
génie, c'est cette aptitude à produire des oeuvres qui fassent
immédiatement sens pour autrui. L'art représente ce que chaque homme
peut éprouver ressentir ou comprendre. Il réunit immédiatement tous
les hommes sans preuves, ni discours. Continuez éventuellement sur la
dimension universelle du plaisir esthétique (« est beau ce qui plaît
universellement sans concept)
Aussi si l’œuvre d’art a un sens universel, comme l’a dit Alain, elle
n’est jamais sans règle, pur désordre ou arbitraire. Une oeuvre d'art
étant un tout complexe, on reconnaît volontiers qu'elle ne peut avoir
de beauté qu'à la condition de comporter un ordre interne qui lui
donne son unité et lui évite d'être simplement composite, et aussi
qu'un tel ordre est assuré par une certaine proportion, assurément
subtile, entre les parties qui la composent, qu'ils s'agisse de
différences chromatiques, ou de rapports de hauteur et de durée entre
des sons simultanés ou successifs.
Transition : Mais affirmer que l’œuvre veut dire quelque chose
n’estce pas la réduire à un contenu déterminé, à une fonction ? Un
objet a une fonction. Un message parlé ou écrit à une signification
déterminée (passe moi le sel, donne moi du feu…) mais l’œuvre d’art
n’estelle pas fait seulement pour être admirée indépendamment de tout
intérêt pratique, technique ou même existentiel ?
2) L’œuvre d’art ne dit rien d’autre qu’ellemême (finalité
intrinsèque de l’œuvre d’art)
N’est ce pas parce qu’un objet est regardé en dehors de toute finalité
externe qu’il peut être considéré comme une œuvre d’art. « La
métamorphose la plus profonde commença lorsque l’art n’eut plus
d’autre fin que luimême » Malraux. Ainsi c’est en perdant leur sens
originell’utilité technique que les œuvres de l’antiquité ou du
moyenâge sont devenus des œuvre d’art. L’œuvre faisait partie d’un
contexte, d’un projet qui pouvaient être magique, religieux,
politiques, idéologiques, techniques, etc., qui n’existent plus, et
c’est parce que tous ces sens lui ont été ôtés, parce que seul lui
reste le sens esthétique induit par le style, que nous l’appelons
désormais oeuvre d’art. L’oeuvre d’art est appréhendée non pas comme
la représentation de la vierge, comme un vase mais comme l’effet d’un
style unique.
Et si c’est le regard qui fait l’oeuvre d’art on pourrait en conclure
que tout pourrait devenir art: il suffirait de regarder n’importe quel
objet d’une certaine façon. Lorsque Marcel Duchamp expose un
portebouteilles et un urinoir (« readymade »: objet de la vie
courante exposés au regard esthétique) sans transformation aucune, ce
n’est pas seulement pour épater la galerie; la provocation a un sens
profond: arracher à son contexte habituel, un objet quelconque change
radicalement de sens, et la beauté noyée en lui quand il servait
d’objet d’usage peut enfin émergé dans la mesure où cette utilité a
disparu. Le peintre Maurice Denis écrivait dans un articlemanifeste
de 1890: « se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de
bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est
essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain
ordre assemblées ». Un tableau religieux avant d’être une vierge, est
une surface plane couverte de couleurs assemblées en un certain ordre.
Même si pour les peintres ou les sculpteurs de l’époque, cet
assemblage de couleurs était seulement une Vierge, un objet de culte
et de prière et rien d’autre.
Ce qui caractérise l’oeuvre d’art c’est donc ce primat de la forme sur
le contenu. La première question que l’on doit donc se poser au sujet
d’une oeuvre d’art n’est pas: « qu’estce que cela représente? » mais
comment cela représentetil? Une oeuvre d’art n’est pas un message:
un roman n’est pas un traité. Réduite à son contenu Madame Bovary
n’est qu’une vulgaire histoire d’adultère. « Le sujet d’un ouvrage
disait Valéry est ce à quoi se réduit un mauvais ouvrage ». L’art
n’est pas dans le contenu mais dans la forme. Cette supériorité de la
forme sur le contenu caractéristique de l’art différencie un énoncé
poétique d’un énoncé scientifique. Le langage scientifique est
univoque, il n’a qu’un seul sens. Un énoncé scientifique peut aisément
être traduit dans une langue étrangère. Tout terme, toute expression
peut être traduite, remplacée par une expression ou un terme
équivalent. En revanche le sens d’un poème est absolument inséparable
de tous les mots, de la sonorité même des mots. Car le sens naît du
rythme même des mots, de leur musicalité. Ce qui caractérise le
langage poétique par rapport à la prose c’est qu’il est intraduisible.
Le sens, le contenu du poème se perd, s’enlise, s’englue dans la
matière même du langage. C’est pourquoi la poésie aime l’indéterminé
et rien n’est plus antipoétique qu’un énoncé qui vise à informer ou à
produire une réaction déterminée. « C’est trop cher », « il fait froid
», il fait chaud ne sont pas des énoncés poétiques. En revanche ces
vers :
Tombée de la branche
Une fleur y remonte
C’était un papillon!
constituent un énoncé poétique, et, parce que l’art n’est pas dans le
contenu mais dans la forme, il serait absurde de demander à un poète
si ce qu’il dit est vrai ou faux. « La lune est un singe échappé qui
regarde à travers les barreaux de la nuit » (Supervielle) est une
phrase qui n’est ni vraie, ni fausse. La finalité de cette phrase
n’est pas d’imiter le réel, mais d’en produire un autre (nous faire
entendre ce que nous n’avons jamais entendu, nous faire voir ce que
nous n’avons jamais entendu). On peut donc dire que l’œuvre d’art en
vertu de la singularité de sa forme, du primat de la forme, ne renvoie
pas à autre qu’ellemême (elle n’est plus au service du sacré ou de la
beauté). Elle est une réalité autonome. C’et pour cette raison qu’on
ne saurait, en peinture réduire un tableau au spectacle, au motif ou à
la chose qu’il semble représenter. Jamais l’œuvre d’art ne se réduit à
ce qu’elle représente (son contenu; celui est toujours indéterminé).
Conclusion
Aussi le sens de l’œuvre d’art ne se réduit à aucune signification
déterminée. L’œuvre d’art est foisonnement de signification. Par le
jeux harmonieux des éléments dont elle est composée, elle nous donne à
penser bien plus que ce l’on peut exprimer par des mots « dans un
concept déterminé ». Une oeuvre vraiment belle est une oeuvre que je
prends plaisir à regarder parce que par la richesse inépuisable de son
contenu elle me fait rêver et méditer sans fin, sa perception relance
indéfiniment le flot de mes rêveries. Plus je la regarde plus elle me
fait réfléchir, et plus je réfléchis plus j’éprouve le besoin de la
scruter plus profondément. Ainsi quand je suis en présence d’une œuvre
que je considère comme une œuvre d’art, je désire m’attarde
indéfiniment à sa contemplation, car ce que je vois me donne à penser,
et ce que je pense me donne envie de la regarder à nouveau; l’art
donne à penser en donnant à voir, et à voir en donnant à penser.