LA NOTION DE PEUPLE ( suite et fin ) :
Le contexte africain : le cas de la RDC
La notion de PEUPLE en tant qu’élément capable de s’identifier comme
unité de pouvoir est
assez récente ; certains auteurs parlent de la période après la
Révolution Française.
De même, la coïncidence d’un ou de plusieurs peuples habitant un même
espace physique délimité est tout aussi récente. Dès lors, on comprend
la notion de Nation comme celle d’un Peuple, voire d’un groupe humain,
qui a une identité, une culture et une histoire communes.
Autant l’Afrique que l’Europe partagent une histoire de division
géopolitique conçue de façon arbitraire. Ces divisions ont amené , et
amènent encore, des conflits d’ordre ethnique et politique. Comme
l’Europe, l’Afrique est en butte à « des pressions locales historiques
et géopolitiques en vue d’une coopération transfrontalière et d’une
intégration interrégionale ».
Le cas de la République Démocratique du Congo est tout à fait
remarquable, car notre pays est constitué d’une mosaïque de peuples de
plus de 450 groupes ethniques et linguistiques et qui sont divisés en
4 grandes catégories : Pygmées, Bantous, Soudanais et Nilotiques.
Les Pygmées autochtones sont reconnus comme les premiers et les plus
anciens habitants de l’Afrique Subsaharienne, particulièrement
l’Afrique Centrale et donc la forêt équatoriale.
Etant donné la complexité et l’immensité du thème à aborder, dans
notre étude ici sur la notion de peuple, s’agissant du cas particulier
de la RDC, nous allons nous inspirer de l’ouvrage intitulé « Histoire
Générale du Congo » de l’Eminent Historien Congolais NDAYWEL E NZIEM
publié en 1998.
Dans son ouvrage , l’auteur opte d’emblée pour la notion de «peuple
congolais», celleci ne retenant, ditil, « des populations zaïroises
» que leur aspect des « fondements » de la réalité contemporaine
qu’est le Zaïre ». C’est donc volontairement que l’auteur écarte de
son ouvrage les données qu’il juge non compatibles avec son objectif.
Son intention est de construire une synthèse dynamique de l’histoire
nationale du Congo. Il s’agit de saisir « l’histoire des Zaïrois » ou
plus exactement la « mémoire des peuples du Zaïre » pour en faire le
matériau de l’élaboration du futur de ces peuples : « (…) apprivoiser
[la] superstructure [qui coiffe les populations zaïroises], l’arracher
à l’extraversion qui l’a sécrétée, lui donner un contour qui
corresponde aux données réelles du terrain, en faire un instrument de
promotion (…) ».
Selon cet auteur, deux événements majeurs ont concouru à l’émergence
d’une « nation congolaise » : l’avènement de l’Etat colonial et la «
bantouisation » démographique et culturelle de l’espace congolais.
1.1. Arrivée des Bantous
En ce qui concerne le premier, l’auteur estime que l’arrivée des
populations dites bantoues sur l’espace congolais a eu comme
conséquence la «bantouisation» démographique et culturelle de la
région. Le contact des Bantous avec la couche autochtone constituée de
Pygmées d’abord et ensuite, celui des Bantous avec des populations
soudanaises et nilotiques venues des régions de Darfour et de Kordofan
pour les premières ainsi que des plateaux d’Ethiopie pour les
secondes, créèrent des brassages et des métissages qui seraient, selon
Ndaywel, à l’origine de groupes «soudanais bantouisés» (Ngbandi,
Ngbaka, Zande, Mangbetu, etc.) et «nilotiques bantouisés» (Alur).
Il conclut donc qu’: «(…) avec l’arrivée des Bantu, il faut le
constater, la trame culturelle du pays s’est trouvée esquissée de
manière décisive; une part du destin du pays était du même coup
déterminée. (…) après avoir perçu d’abord le peuplement comme un
phénomène géographique et démographique, de le considérer à nouveau en
tant que phénomène culturel dynamique».
Selon cet auteur donc : «(…) la prédominance Bantou sur cet espace est
un fait indéniable, malgré les greffes culturelles d’origine
soudanaise et nilotique. Cellesci sont plus tardives et n’ont réussi
qu’à produire une poignée de sociétés ethniques plutôt hybrides,
puisant leur fondement aussi bien dans la culture bantou que dans
leurs cultures d’origine (…). Il n’existe au Congo que des sociétés
bantousoudanaises (Ngbaka, Ngbandi, Zande), et bantounilotique
(Alur). Il n’y a pas de Soudanais et de Nilotiques purs (2)».
1.2. Colonisation
Quant à l’importance du fait colonial, Ndaywel le souligne justement
en montrant qu’avec la colonisation (colonisation commerciale XVIIIe
XIXe siècles et politique XIXe début XXe siècles), une nouvelle
répartition de l’espace fut imposée. «Après s’être retrouvées
regroupées en zones commerciales, les populations zaïroises
découvrirent l’existence d’une superstructure qui les coiffait et dont
la consistance ne fit que croître : ‘Etat Indépendant du Congo’,
‘CongoBelge’ » (page 30).
Et il ajoute curieusement qu’ «On se rappellera que c’est
l’ethnographie linguistique qui révéla aux Africains leurs identités
inter ethniques de «bantou», «soudanais» et «nilotiques». Si le
concept de «semibantou» n’avait pas été combattu, il aurait constitué
une autre identification interethnique» (page : 463).
Les différentes étapes du raisonnement que nous résumons cidessus
appellent les commentaires qui suivent.
2. Concept linguistique de «bantou»
A vrai dire, l’histoire des langues est une chose, celle des
populations en est une autre. Peuton faire correspondre l’expansion
linguistique bantoue à une migration massive accompagnée d’un
peuplement ?
Puisque l’expansion des langues est, elle, un fait incontestable, ne
fautil pas la replacer dans l’époque historique où elle a très
probablement eu lieu, c’estàdire il y a environ trois mille ans. Que
peut avoir à faire un fait historique aussi éloigné avec l’émergence
de la nation congolaise?
De ce fait, on constate plusieurs confusions courantes entre langue et
culture, et plus dangereuse encore entre langue et «race». Ainsi, les
langues bantoues doivent correspondre à une culture bantoue. Or si les
peuples Bantous partagent certainement beaucoup de valeurs
culturelles, ils présentent aussi des spécificités qui les
différencient à bien des égards. Ces différences que certains auteurs,
comme NDAYWEL ou OBENGA, s’efforcent de minimiser, sont parfois très
profondes. Nos savants Africains oublient de le souligner, quoique
Ndaywel tente timidement de le montrer dans son ouvrage à propos, par
exemple, des peuples Mongo (pages : 164170) qui occupent pourtant un
même espace géographique.
Mais s’il suit cette voie à propos des Mongo qui parlent des langues
bantoues, il ne raisonne plus de la même manière lorsqu’il s’agit de
groupes nonbantous. Ceux qui parlent des langues oubanguiennes,
soudanaises ne peuvent être que «une poignée de sociétés ethniques
plutôt hybrides» dont l’influence tardive est négligeable et dont la
culture est «influencée», non pas «influençante». Puisque le
territoire congolais est majoritairement peuplé de Bantous, tout autre
peuple qu’on pourrait y rencontrer actuellement ne peut être que
«bantouisé». D’où l’usage des termes comme «bantousoudanais»,
«bantounilotique», «soudanais bantouisé» ou «nilotique bantouisé».
Ainsi, le concept de «semibantu» est récupéré par Ndaywel sous
d’autres formes et abusivement généralisé à des peuples qui ne parlent
pas des langues bantoues comme première langue, pour des fins
uniquement politiques. Lorsque Ndaywel parle de «soudanais bantouisés»
ou «nilotiques bantouisés» et de «bantousoudanais» ou
«bantounilotiques», il ne fait que consacrer en l’amplifiant une
terminologie ethnographique qui est aujourd’hui abandonnée et qu’il
critique luimême.
Ainsi, la science estelle, une nouvelle fois, utilisée envers et
contre ce qu’elle dit, au service d’une idéologie nationaliste prônant
l’adéquation «une nation une langue une culture» dont l’histoire
européenne, par exemple, montre à quel point elle nuit à la démocratie
; à cela près qu’ici l’équation se redéfinirait comme «une nation un
groupe linguistique une culture», ce qui est plus absurde encore. Il
s’agit là d’une manifestation, elle aussi bien connue dans l’histoire,
de la volonté sousjacente qu’a un groupe linguistique dominant
d’imposer ce qu’il pense être son identité aux groupes linguistiques
plus minoritaires.
3. «Bantouisation culturelle»?
L’objectivité scientifique exige qu’après avoir affirmé certains
faits, on apporte, ne seraitce qu’un début de preuve à l’appui de ce
que l’on affirme. Les données linguistiques et archéologiques restent,
dans les sociétés africaines tributaires de l’oralité, les seuls
indices fiables de l’histoire ancienne authentique. Une histoire des
peuples à tradition orale qui ne se base pas sur ces données ressemble
à un château de cartes.
La situation des Oubanguiens ou Nilotiques que Ndaywel décrit
correspond à celle des peuples qui s’établissent, pour des raisons
diverses, dans les centres urbains. Là, le brassage des peuples
d’origines différentes est total et les préoccupations sont de tout
autre nature. Dans ces conditions, il est tout à fait normal que les
considérations ethniques soient moins présentes et que les influences
d’autres peuples soient plus intenses. Cette description est aussi
valable pour les Bantous. Mais tel n’est pas le cas dans les milieux
coutumiers, du moins en ce qui concerne la région de l’Ubangi, où les
habitants se sentent d’abord attachés à leur milieu, à leur tradition,
à leurs valeurs culturelles avant tout autre attachement. Les
Oubanguiens ou Nilotiques que notre historien connaît et qu’il décrit
à la page 675 de son ouvrage, n’ont rien ou presque rien à voir avec
les peuples qu’ils disent représenter. C’est une autre mentalité ou un
autre mode de vie, propres aux centres urbains, que ces gens
manifestent.
La conscience nationale congolaise, qui se traduit par la volonté
manifeste de tous les peuples de coexister sur un même espace
territorial, n’est pas une fiction, c’est plutôt une réalité. Mais
cette conscience n’est pas le résultat d’une acculturation des
minorités oubanguiennes et nilotiques par rapport à la majorité
bantoue. Elle est d’abord et surtout un héritage légué par la
colonisation belge. La conscience nationale a été forgée au fil du
temps par la situation coloniale vécue ensemble sur un même
territoire. La deuxième République a ensuite apporté une part non
négligeable dans cette prise de conscience.
Les diversités culturelles sont nombreuses au Congo et elles ne
correspondent pas seulement à la dichotomie Bantous et Oubanguiens ou
Nilotiques, mais elle est aussi présente à l’intérieur de chacune de
ces catégories. C’est une richesse qu’il faut promouvoir pour assurer
le maintien de l’unité nationale du Congo.
Plutôt que de faire croire faussement aux gens qu’ils sont
culturellement identiques, la démarche la plus objective et la plus
avantageuse, à notre avis, consisterait d’une part à montrer en quoi
les peuples sont différents. D’autre part, il faut insister sur le
fait que ces différences ne constituent en aucune manière un handicap
à une coexistence harmonieuse. Au contraire, les différences sont une
source d’enrichissement. En d’autres termes, il faut favoriser les
différences culturelles au lieu de les masquer volontairement, sous
prétexte qu’elles seraient marginales et risqueraient de porter
atteinte à l’unité politique du pays.
4. Conclusion
La linguistique diachronique n’a jamais prétendu établir l’histoire
des peuples qui parlent les langues soumises à son étude. Elle
n’exclut pas de ses hypothèses les contacts comme l’un des facteurs de
création des langues et elle est suffisamment outillée pour distinguer
les faits de contacts de ceux qui relèvent d’une origine commune. Mais
elle ne pose aucun jugement de valeur et elle ne confond pas langue et
population, ou pour parler plus clairement, langue et race, ou groupe
de langues et race. Or de tels amalgames connaissent actuellement un
regain de faveur qui désoriente complètement le lecteur non averti et
permet sa manipulation à des fins politiques.
Nous n’établirons pas ici un parallélisme entre ce qui s’est passé en
Europe d’entredeuxguerres, lorsque le concept linguistique de
l’indoeuropéen avait été récupéré par des esprits mal intentionnés.
Les conséquences de cette récupération se passent de commentaires.
Mais nous avons le sentiment qu’on avance tout doucement vers une
pareille récupération du concept «bantou» en Afrique, plus précisément
en République Démocratique du Congo.
Eu égard à tout ce qui précède, nous terminerons notre analyse par
une interrogation :
BOMBOMA qui est à la base un village et un territoire ; aujourd’hui
BOMBOMA toujours seulement une tribu, ou une ethnie, ou déjà un peuple
? Sommesnous en droit de parler de « Peuple Bomboma » au risque de ne
pas nous faire contredire !!
Nous vous convions à retrouver les éléments de réponse dans le projet
d’éditorial préparé et présenté par le rédacteur en chef de notre
journal culturel ACUBO NEWS.
Maufranc MONGAI
Président ACUBO
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